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L’amour c’est du pipeau If love is the answer, what was the question ? lundi 28 octobre 2002, par Yupanqui |
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Qu’est-ce que l’amour ? Ce machin, souvent considéré comme la plus belle chose qui soit, est indéfinissable, son caractère irrationnel faisant, paraît-il, tout son charme. Entendons-nous bien : ce que j’appellerai "amour" est une forme extrême d’attachement entre deux personnes. Soit. Mais qu’est-ce qui le différencie des autres relations sociales ? Pourquoi a-t-il un statut à part dans l’imaginaire collectif ? Pourquoi, non contents de morceler - via le langage - le spectre continu des relations sociales, y introduisons-nous un no man’s land fort intrigant entre le concept d’amour et le reste ? Voyons quelles sont les réponses apportées d’ordinaire à ces questions. Le premier point censé donner sa particularité à l’amour est son caractère passionnel et irrationnel. Mais est-ce réellement un caractère propre à l’amour ? Toute relation sociale NON INTÉRESSÉE est, me semble-t-il, aussi irrationnelle que l’amour ; prenons l’exemple d’une amitié particulièrement profonde : hormis un vécu commun, qui lui est tout à fait tangible, mais insuffisant, qu’est ce qui peut ainsi unir durablement deux personnes ? Évidemment la potentialité, le désir d’un présent et d’un avenir communs. Ce type de relation amicale poussée repose sur une attirance réciproque parfaitement inexplicable et une bonne dose d’affection mutuelle ; tout comme l’amour. Il nous faut donc chercher ailleurs que dans l’irrationalité la distinction entre l’amour et les autres liens sociaux. Il y a cinquante ans, l’amour était aussi caractérisé par l’existence d’une relation sexuelle ; fort heureusement, depuis la prétendue "révolution des moeurs" des années 60/70, on sait que plaisir sexuel et sentiments ne sont pas indissociables ; hâtons-nous donc de replacer cette idée réactionnaire à la place qui est la sienne - au Moyen Age. Plus sérieusement, on pourrait aussi mettre en avant le caractère exclusif de la relation amoureuse ; en effet, l’idée d’amour suppose ordinairement une certaine fidélité qui, si elle n’est pas forcément exigée sur le plan sexuel, est censée l’être au niveau sentimental. L’amour serait donc le seul type d’affection qu’on ne peut ressentir que pour une personne à la fois. Mouais. Et pourquoi donc ? Avons-nous réellement un quota d’affection à distribuer, et, au sein de ce quota, un certain pourcentage, étiqueté "amour", devant obligatoirement être alloué à une personne unique ? Pas clair, tout ça. Et on ne me fera pas croire que cette conception des choses est innée, qu’elle fait partie de la "nature humaine" [1], quand bien même cette dernière existerait. Ce qui nous mène droit au coeur du problème : en creusant un peu, il devient évident que le concept d’amour est une pure construction sociale, dont le principal intérêt, actuellement, est de légitimer le cliché du couple hétérosexuel [2], lui-même bétonné par la morale judéo-chrétienne, qui, soit dit en passant, n’en est plus à une escroquerie intellectuelle près. Soyons bien clairs : je ne remets pas en cause la possibilité d’un sentiment d’affection extrême, loin de moi cette idée, je ne suis pas aigri à ce point ; je constate simplement l’artificialité de sa conceptualisation, de sa mise à part, de sa mystification, sous le terme « amour ». Les sources de cette imposture sont multiples. Tout d’abord, les littérateurs avinés, poètes à l’eau de rose en tout genre, ont très tôt fait de l’amour un mythe, une force supérieure justifiant les comportements les plus variés ; ainsi, les mythologies antiques regorgent de cas de guerres, meurtres et autres trahisons déclenchés, officiellement, par l’amour ; toujours est-il que l’amour, depuis des siècles, fournit un indémodable sujet d’inspiration aux artistes, et le jour n’est pas venu où la source se tarira, enjeux économiques oblige. Même Chute Libre n’y échappe pas, cet article en est la preuve ;-) Dans la genèse du concept artificiel d’amour, la part de l’artiste soucieux de gagner sa croûte est, dès le départ, indissociable du rôle joué par la religion, cet indispensable pilier de la paix sociale et des hiérarchies : longtemps, l’art officiel a été religieux. La peur de la mort étant susceptible de créer du doute - potentiellement subversif - chez l’homme, le rôle premier de la religion a toujours été d’inventer des carottes lui permettant d’oublier sa condition de mortel, témoin l’invention de la vie éternelle, dans moult religions. L’amour est une de ces carottes, un de ces opiums du peuple. On pourrait dire que le peuple se contente de pain, de jeux, et d’amour. Et il ferme sa gueule, tout heureux sur son petit nuage rose. Le souci de conformité sociale et la statique de groupe faisant le reste du travail, le processus d’intériorisation de la contrainte extérieure a suivi son cours [3], et le concept d’amour fait maintenant partie de la prétendue "nature humaine". L’immense majorité des humains refoulent donc aujourd’hui toute émotion allant en contradiction avec cette idée reçue et admirablement intégrée, et n’osent imaginer la possibilité d’un bonheur hors du cadre prétendument naturel de la relation amoureuse stable, hétérosexuelle et binaire : n’est pleinement considéré comme adulte que celui qui suit cette voie. Et, par conséquent, dès lors que le quidam moyen se sent particulièrement bien avec un de ses congénères, préférablement de sexe opposé, et que cette attirance est réciproque, il s’empresse d’enfiler ses illères de compétition : il se persuade dare dare qu’il a trouvé l’âme sur, qu’il ne peut qu’être satisfait de sa situation matrimoniale, et qu’il a atteint l’un des buts de sa vie, tout ceci en oubliant que sa relation - comme toute relation amoureuse - s’est bâtie sur un futile concours de circonstances, et qu’il eût été possible, à son commencement, d’interchanger l’un de ses protagonistes sans notable incidence sur la suite de l’histoire. Encore une norme sociale à déconstruire, camarade ! Vive la vie. [1] Longue liste de caractéristiques humaines considérées comme indépassables, sacrées et indéboulonnables, du fait qu’elles aient subsisté malgré la mutation des sauvages en êtres civilisés capables d’inventer la dissuasion nucléaire mutuelle. [2] On l’a vu, la prétendue "révolution des moeurs" a introduit une vague liberté sexuelle dans notre société occidentale. Certes. Mais c’est bien tout. Car le cliché du couple hétérosexuel y a survécu. J’irai même jusqu’à dire qu’il en est sorti renforcé, la tolérance contemporaine envers le sexe hors-mariage ne faisant que légitimer le mariage, en le rendant plus supportable, en diminuant son aspect frustratoire. [3] « Avec la moindre rigidité des conventions qui brident les spontanéités, le contrôle intériorisé des pulsions et des émotions devient encore plus nécessaire et plus exigeant. » Norbert Elias, in La société des individus |
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