Les artistes sont des putains. Oui monsieur ! Je l’affirme. Tuez les tous. Comment ? Des objections ? Ben tiens. Z’y croyez, vous. Les ’tites fleurs, les ’tits zozios, le machin qui mousse de verdure, et l’artiste rêvassant, avec la muse qui se pointe, pépère, lui offrant deux mois d’inspiration gratuits [1]. Pas moi. Bon. Au fait. Pourquoi j’étais énervé, moi ? Ah oui. Java, un groupe musical très en vogue, à l’honneur des radios. Mieux : des vrais rebelles. Et vous savez ce que raconte le single ? Plein de trucs plutôt sympathiques. Un crachat à la gueule des majors. Une insulte au consommateur de culture Vivendi-Universal. Un remarquable exposé de l’impitoyable processus de sélection des "oeuvres" qui deviendront des tubes. Les directeurs de programmes des radios commerciales sont donc masochistes au point de diffuser des propos quasi révolutionnaires sur leurs ondes. Victoire. Quelle ouverture d’esprit. Offrir au grand public les moyens de réaliser l’étendue de son aliénation. Tout bonnement incroyable. Mais comment se fait-ce ? Les patrons de France Inter et de RTL, hauts-lieux de sous-culture abrutissante, auraient-ils adhéré à ATTAC ? Non. Du tout. Le fait est que ce discours anti-mercantil est aujourd’hui incroyablement vendeur ; les derniers bébés des stars du gauchisme de salon s’arrachent dans les bacs. Le consommateur moyen a muté en consommateur-citoyen. Il veut du garanti commerce-équitable, de la taxe Tobin surgelée. Soucieux de lui plaire, les producteurs n’ont fait que s’adapter à la demande. Si demain la FNAC pose un drapeau rouge sur sa devanture, elle double son chiffre d’affaire ! Donc, pas de masochisme en vue. De la logique commerciale à l’état brut. Ce qui met en évidence, une fois encore, la formidable capacité du capitalisme à intégrer la contestation, à récupérer toute tentative d’expression libre. Et c’est pourquoi les artistes sont des putains. Enfin, je ne parle même pas des play-backeurs professionnels, ni des chanteuses-poupées-jetables-90-60-90 qui ne font pas de politique. Mais ceux qui se targuent de propager des idées subversives, les révolutionnaires de la variété, les Enfoirés de tous les pays, ceux qui dorent les testicules des bourgeois en croyant braver l’ordre établi, ceux ci sont à mes yeux de bien tristes putains au service d’un régime qui a grand besoin de soigner sa façade démocratique.

Yupanqui