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Fin de journée parmi la froideur métallique des intégristes de la bagnole
les ravages du pot d’échappement sur le cerveau

dimanche 24 mars 2002, par ECN


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Thèmes abordés :

bagnole
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... "Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut / Du bonheur et rien d’autre." Paul Eluard

Ma journée du 14 janvier 2002 fut épuisante ; non content de participer à des réunions dont la tension électrique entre les protagonistes aurait suffi à fournir de la lumière pour une année à Paris, il a fallu en plus que je me perdisse à Suresnes à 19H30, il faisait nuit, j’avais froid, je n’avais pour toute compagnie que celle des macchabées du cimetière local aux abords duquel je me retrouvai, pas des plus réjouissantes, donc, convenons-en.

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J’arrivai enfin péniblement à rejoindre un train de banlieue, puis le métro, et j’étais d’une humeur quelque peu maussade lorsque j’en sortis. C’est alors que je me fis interpeller par deux hommes, la quarantaine très bedonnante, raie sur le côté du style lecteur du Figaro, imperméable bien propre, chaussures bien cirées, pantalon sans faux-pli (je suis très observateur), en un mot, des faces de cake, dont la compagnie m’était assez peu indispensable à ce moment (et même à d’autres, mais enfin, je sais me tenir...)
-  Bonsoir monsieur, pourrions-nous vous solliciter quelques instants ? C’est pour une pétition. Tiens tiens... à mon avis, ces personnes ne sont pas du genre à se plaindre du manque d’infirmières dans les hôpitaux, de la privatisation de La Poste ou des décisions du Conseil Constitutionnel. Mon avis se trouva être le bon, puisqu’il poursuivit de la sorte :
-  En effet, la mairie socialo-communiste [du XIIème arrondissement, NDLA] poursuit une politique anti-voitures, à l’instar de M. Delanoë. Ils refusent la construction de nouveaux parkings [aspirateurs à bagnoles, NDLA], projettent de généraliser les couloirs de bus, créant des embouteillages insupportables pour ceux qui ont besoin de leur voiture... me dit, en substance, le plus gras des deux.
-  ...ou qui aiment leur voiture ! conclut subtilement l’autre.
-  C’est pourquoi nous faisons signer une pétition en faveur de la création de nouvelles infrastructures pour la voiture... reprit mon bedonnant
-  ...ou plutôt pour reprendre les travaux entrepris par les anciens conseils municipaux ! ajouta finement le deuxième.
-  Non, je ne signerai jamais une telle pétition ! m’entendis-je leur répondre, sous leur regard interloqué.
-  Pourrait-on en connaître la raison, monsieur ?
-  Parce que toute mesure ayant pour but, avoué ou non, volontaire ou non, de faire chier les automobilistes verra mon adhésion immédiate et sans condition ! Silence.
-  ...Mais pourquoi ? pleura la grosse vache qui commençait à me sortir sérieusement par les yeux.
-  Mais vous ne trouvez pas qu’il y a déjà bien trop de bagnoles à Paris ? Ca vous amuse, vous, de rentrer les enfants et les vieux au mois d’août pour cause de pollution ? Ca vous plaît que nos poumons se transforment inéluctablement en carburateurs ? Vous ne trouvez pas que flâner dans les rues, contempler de belles façades, serait mieux s’il n’y avait pas le vacarme des moteurs partout, la puanteur ? Sans compter les risques que tout piéton prend en traversant une rue ! Silence. Je croisai les regards de personnes sortant du métro, et qui semblaient s’amuser de cette petite discussion. Ils étaient approbateurs, ces regards ; et bien que les gens me parussent des soutiens potentiels, je dirigeai à nouveau mon regard vers les deux crétins. Ils paraissaient, sinon énervés, du moins irités.
-  Vous n’aimez vraiment pas la voiture, vous ! remarqua très perspicacement l’autre, qui par ses "réflexions" me semblait plus virulent que le gros. Je m’empressai alors de leur couper l’herbe sous le pied avant que l’inévitable question ne surgisse.
-  Entendons-nous bien ; j’ai moi aussi une voiture qui, il faut bien le reconnaître, m’est bien utile quand je vais en province dans des endroits ne disposant pas de gare. Mais à Paris, je ne m’en sers jamais, elle peut rester deux mois dehors sans bouger. D’ailleurs, c’est un engin parfaitement inutile ; on a un réseau de transports en commun assez efficace, non ?
-  Le métro, vous voulez dire ? Ah ! Quand ils ne sont pas en grève, peut-être ! Mais il y a toujours des problèmes ! dixit le gros lard.
-  Euh... vous ne prenez VRAIMENT jamais le métro, vous ! La dernière grève remonte à plus d’un an, elle a duré un après-midi... rétorquai-je, non mais !
-  Mais même ! C’est bondé, ça sent extrêmement mauvais, tous ces gens partout, on est confinés dans un espace réduit, pouah !. Ca, c’est l’autre, le plus con que le con.
-  Eh bien faites-moi signer une pétition réclamant l’embauche de nombreux conducteurs [des centaines de trains restent au dépôt, faute de conducteur, NDLA], des passages plus fréquents aux heures de pointe. Je signerai avec plaisir. Mais là, vraiment, impossible. Et puis bon, là, il est presque 20H30, j’en ai marre, alors je souhaite qu’il y ait encore plus de couloirs de bus, qu’on interdise la bagnole dans le plus d’endroits possibles, qu’on supprime les voies sur berge, qu’on abolisse les parkings souterrains qui ne font qu’accroître à chaque fois le trafic automobile, et qu’on ait enfin une ville pour les piétons, où on pourrait respirer un air décent. Bonsoir.
-  Vous êtes un idéaliste, vous, hein ? Mais enfin, il y a des gens qui ont besoin de leur voiture ! répondit le teigneux, tandis que je commençai à tourner les talons. Acquiescement du lourdaud.
-  Non ; personne habitant Paris ou la proche banlieue n’a besoin d’une voiture.
-  Mais pour emmener les enfants à l’école, aller faire les courses... ?
-  Eh bien pour les enfants, il y a les jambes, une école n’est jamais très loin du domicile, au pire un peu de bus ou de métro. Pour les courses, j’y vais à pieds également, je me fais livrer, et j’essaie de faire vivre les commerces qui crèveraient la bouche ouverte si tout le monde prenait sa bagnole pour s’entasser dans des hypermarchés sordides de banlieue.
-  Peut-être que vous avez les moyens de faire vos courses dans les petits commerces, mais beaucoup ont besoin des grandes surfaces peu chères, savez-vous ? me lança d’un ton goguenard des plus détestables le teigneux.
-  Arrêtez de jouer le défenseur des pauvres, vous n’arrivez même pas à vous convaincre vous-même ! Pour votre argument, incluez le coût de l’essence, l’entretien, plus fréquent si l’utilisation de la voiture est fréquente, et n’oubliez surtout pas le coût de l’emmerdement à aller faire la queue dans une de ces immondes grandes surfaces et de passer son après-midi dans des bouchons, et vous verrez que vous dépensez au moins autant que moi... Silence, à nouveau. J’eus la sensation étrange de dire ce que je considérais comme des truismes à des personnes qui, le plus incroyablement du monde, n’y songeaient apparemment pas. Comme quoi la propagande publicitaire et le lobby de l’Automobile Club de France font des ravages... Je repris :
-  Bon, je vous laisse, j’ai envie d’un bon pastaga, peut-être êtes-vous convaincus à présent ?
-  Certainement pas ! Je veux pouvoir continuer à prendre librement ma voiture quand bon me semble, pour aller où bon me semble ! - c’est le gros.
-  Et c’est pas les écolos qui vont faire la loi ! conclut l’autre débile.
-  Non, c’est vous, comme d’habitude... Bonsoir.

Notre entretien s’acheva donc sur ces mots. Tout juste les entendis-je me rendre du bout des dents ma politesse. Après quelques pas, je décidai néanmoins de me retourner pour les observer deux minutes. Ils continuaient leur propagande pro-bagnole. Tiens, étrange, ils n’interpellent pas les noirs (qu’ils imaginent trop pauvres pour avoir une voiture, je pense), ni les personnes portant des jeans (même remarque). évidemment, j’avais dû sortir une limace pour mes rendez-vous, ça les a sans doute mis en confiance... Je regagnai mes pénates. Je sentais moins le froid ; je retrouvai un semblant de sourire. J’aurais pu simplement les envoyer paître, comme je le fais d’habitude. Ca fait du bien de parler et d’échanger des opinions, fussent-elles en parfait désaccord avec l’interlocuteur.

Messieurs, car je dois finir en beauté, je vous souhaite sincèrement de cramer dans votre tas de ferraille sur le périph’, et que ce dernier crame avec vous, mais bon, pas quand j’y suis, faut pas exagérer, et d’ailleurs, la probabilité est bien trop faible, alors allez-y gaiement, foutez-vous en l’air ! Que les statistiques des morts sur les routes explosent ! Mais faites attention de ne pas entraîner des innocents dans vos accidents. En retour, je vous promets d’aller déposer une VRAIE gerbe sur la tombe du bagnoleux inconnu.



ECN



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