Des siècles durant, l’homme a expliqué les phénomènes qui lui paraissaient incompréhensibles par la croyance au surnaturel, le plus souvent par la foi en un dieu omnipotent. Ce folklore moyen-ageux a beaucoup souffert, au cours des 200 dernières années, de la progression exponentielle des connaissances scientifiques, que nous définirons comme des connaissances rationnelles issues de l’observation, du raisonnement, de l’expérimentation. Nous ne saurions le regretter, tant a été grande l’importance de la religion dans la préservation du pouvoir des dominants. Nous n’irons pas toutefois jusqu’à prétendre que la religion a perdu toute influence dans le monde occidental : la morale judéo-chrétienne est encore un des principaux piliers de l’ordre ancien, elle participe toujours grandement à la reproduction sociale. Néanmoins, on peut affirmer sérieusement que la religion a perdu son rôle de réponse-à-tout au profit de la science. On a, pour ainsi dire, mis le monde en équations. Certes, bon nombre de ces équations se révèlent insolvables, car faisant intervenir une infinité de variables ; certes, l’incalculable a fait son apparition dans l’infiniment petit, par l’intermédiaire de la mécanique quantique ; et pourtant, le voile mystique est tombé, le monde nous parait enfin rationnellement expliCABLE. Soit. Mais nous est-il pour autant expliQUÉ ? Ben non. Combien de Français saisissent le sens de E=m.c2 ? Combien d’Ukrainiens connaissaient le principe de fonctionnement d’une centrale nucléaire en 1985 ? Combien de piliers de comptoir savent comment Internet fonctionne ? Bien peu. Beaucoup trop peu. Et pourtant, tous y croient. Ou du moins y croyaient, pour ce qui est des Ukrainiens. Ils y croient très très fort. Leur foi est tout aussi aveugle que la foi religieuse de leurs aïeux. Car elle a été élaborée, dans les deux cas, selon le même processus : l’incompréhension étant potentiellement source de désordre, il est indispensable, pour les dominants, de rassurer le bon peuple par des vérités prémâchées, apprises mais non comprises. Dans le domaine scientifique de nos jours, comme dans la sphère religieuse autrefois, le commun des mortels ne doit surtout pas être amené à se poser la question "Pourquoi ?". Il doit croire. Et il croit. Et il ferme sa gueule. Et tout va bien. Dors tranquille, bourgeois, le mystère scientifique te protège.

Yupanqui

Younine