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Et on tuera tous les affreux...

novembre 2001, par TéhèR


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De tout temps, partout, dans tous les milieux, groupes d’âge, classes sociales, qui n’a pas entendu prononcer — par des abrutis soucieux de mettre fin à leur argumentation en la rendant étriquée, de manière à vous stopper net dans la vôtre par un procédé absolu - ces deux mots : "nature humaine" ?

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Fameux concept qui explique tout, absolu car il est fermé, comme si après l’avoir évoqué tout était dit, comme s’il signifiait tout. Plus rien n’est possible lorsqu’on parle de nature humaine, dans la mesure où cette notion n’a pas d’application concrête. Aucun argument fondé et réfléchi n’a jamais pu la définir, et pourtant on vous la ressace dans toutes les discussions ayant trait à l’homme et à sa connerie.

Prenons l’exemple de la dernière croisade américaine. Avez-vous essayé, au cours d’un repas de famille, d’une soirée entre amis, ou bien sur votre lieu d’activité, de défendre le fait que toute guerre est non seulement meurtrière, grotesque et imbécile mais aussi inutile ? Avez-vous remarqué que vos interlocuteurs sceptiques mettaient en doute la validité de vos propos ? Non pas qu’ils soient fondamentalement contre ces derniers, mais tout de suite vous passez pour un inconditionnel des camisoles, par le simple fait d’avoir exprimé le côté vain de la guerre. "Mais attendez, vous ne vous rendez pas compte de ce que vous dites ; enfin ! la guerre, on ne peut pas empêcher ça, c’est dans la nature humaine." Le même débile profond qui s’exprime en ces termes avait, une demie-heure auparavant déclaré, d’un ton empli de banalité : "c’est quand même moche, la guerre".

Un autre exemple : tentez de faire comprendre à un groupe d’individus non conscientisés le concept de "lutte des classes". A cela les mêmes réponses reviennent dans la plupart des bouches : "vous êtes un utopiste, vous ne changerez pas le monde, depuis que l’homme existe c’est comme ça, c’est dans la nature humaine".

D’une certaine manière, avouer que l’on reconnait la lutte des classes, c’est se rayer définitivement du corps social. Au mieux, on vous prendra pour un boute-en-train, au pire ce sera le peloton d’exécution mentale.

Il n’y a pas de nature humaine !

Comment la masse bien pensante peut-elle rester ignarde sans que personne n’agisse ? Devra-t-on, durant les millénaires à venir, jusqu’à l’extinction de l’espèce, subir cette aberration intellectuelle ? L’Homme, tel qu’il est dans un milieu donné, n’est que le fruit du conditionnement par ce millieu. Il n’est qu’un drap blanc sur lequel ses ascendants viennent se frotter pour y laisser leur couleur. L’Homme, empreint de sa civilisation, n’a de nature que la famille, la classe sociale et le lieu où il naît.

Ce qui constitue réellement l’Homme est son environnement culturel. La notion de "nature humaine" est fallacieuse à partir du moment où le concept de "société" est amené. Si les hommes font la guerre encore de nos jours, c’est parce que des hommes l’ont faite avant eux. Le gène de la guerre est un mythe intellectuellement malhonnête. Aucune notion d’ "inné" ni même de "spontanéité" ne peuvent être constatées dans un cas de guerre. C’est bien la société qui enseigne la guerre, de même qu’elle définit à la base les classes sociales. Sur ce, il existe différentes lectures théoriques du concept de "société" : les individualistes sont des réactionnaires bourgeois autosatisfaits dans leur bêtise. Passons très vite sur ce courant peu glorieux. En revanche, les holistes, qu’ils soient fonctionnalistes ou structuralistes, avaient parfaitement su expliquer la notion de "société", et leurs théories [1] peuvent, à mon sens, démolir à jamais cette fameuse "nature humaine". Selon eux, des contraintes s’exercent sur l’individu qui se voit imposer normes, valeurs, et modes de vie. Ils considèrent l’environnement comme le moule d’un certain nombre de normes transmises à l’individu. De ce fait la liberté est limitée par des règles et des lois.

Par exemple, ce courant sociologique, dans les années 70, reprochait à l’éducation nationale de reproduire les inégalités sociales. En effet, il existe des inégalités dans la réussite scolaire en fonction de la réussite sociale. Le problème majeur est que cette reproduction de l’ordre social se fait sous couvert de démocratisation du savoir, pour montrer la légitimité de la classe dominante, dans la mesure où elle réussit.

A partir du moment où les théories ne retiennent que les facteurs utiles de société, elles nous interdisent de penser le changement, vu que chacun a son rôle ; cela, les holistes l’avaient compris. Cependant, j’ajouterai des éléments à cela. J’irai plus loin dans l’analyse en démontrant que la "nature humaine" est une création de la classe dominante pour justifier de sa place au pouvoir. Reconnaître le concept de "nature humaine", c’est reconnaitre l’existence de forts et de faibles, et de ce fait légitimer l’exploitation des pauvres par les riches. La division sociale que nous connaissons depuis le début de l’humanité en classes est le fait d’une poignée d’obscurantistes et d’une masse de cons.

Avec la notion de "nature humaine", étant donné que le changement est impossible, se met en place un ordre conservateur au détriment de tout progressisme.

La royauté l’a déjà prouvé, les totalitarismes aussi, ainsi le libéralisme le prouve tous les jours, car quoi de plus totalitaire que de donner l’illusion de la liberté, alors que cette dernière ne s’applique que dans l’acte de consommation ? Quoi de plus totalitaire que de donner aux masses une liberté d’expression dans la mesure où elle se trouve enchaînée à l’ordre mondial de la démocratie ? Mais enfin, je vais m’arrêter là, car, après tout, la guerre, les classes sociales, le libéralisme, l’esclavage, et les génocides, bref, la connerie, c’est sans doute dans la "nature humaine".


[1] cf. Norbert Hélias



TéhèR



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