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Les néo-corporatismes : nouveaux chiens de garde des intérêts privés

janvier 2002, par TéhèR


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... "La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes." Karl Marx

Que pouvons-nous attendre de la coalition des masses lorsqu’elles sont subdivisées ? La pensée unique actuelle s’est forgée une conscience anti-syndicale au profit des néo-corporatismes, forme la plus sommaire de la contestation individualiste teintée d’un égoïsme aux relents vichystes et poujadistes. Il est couramment admis que le phénomène de la "montée des corporatismes" découle d’une situation de crise. Les freins à la croissance ancrent dans les mentalités une certaine inquiétude concernant le "partage du gâteau", ainsi le champ de la contestation est envahi par un nombre croissant de groupes d’intérêts fermement décidés à conserver leurs avantages, qu’ils estiment particulièrement importants lorsqu’ils concernent leur propre corps professionnel. Effectivement, l’économie libérale fait que les intérêts accordés à certaines professions ne sont pas étendus, ce qui engendre une redistribution des ressources au profit des uns mais au détriment des autres. Le problème est que la défense d’intérêts particuliers divise la masse salariale et entraîne de ce fait une dégradation du syndicalisme traditionnellement attaché à la solidarité ouvrière et à la lutte des classes. Bien pire encore, à cette dégradation vient s’ajouter une conscience anti-syndicale qui éloigne le salariat de toute lutte unitaire pour sa condition.

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On peut situer l’origine du corporatisme à l’ère féodale, lorsque les guildes de certains corps faisaient primer leurs droits sur ceux des autres (du XVème siècle jusqu’au XVIIIème). Il était à l’époque le seul moyen de pression sur les détenteurs du pouvoir, le syndicalisme n’étant apparu qu’au XIXème siècle sous deux formes : morale et idéaliste (syndicalisme catholique) et matérialiste et réaliste (syndicalisme de lutte). L’arrivée du syndicalisme constitue un énorme progrès par rapport au corporatisme dans la mesure où il s’appuie sur la perspective de la justice sociale ; en partant du particulier, il s’échelonne vers le général. Il est le seul outil valable, durant un siècle, pour la transformation sociale. De la sorte, il est impossible de dissocier le développement du syndicalisme du développement économique de l’histoire générale du mouvement ouvrier et de sa lutte contre l’oppression. De fait, la résurgence corporatiste marque la fin de l’avancée sociale, dans la mesure où elle est indissociable de la nouvelle économie. En effet, le capitalisme libéral ayant supplanté le capitalisme d’Etat, il a entraîné avec lui la création d’un outil de pression salariale qui lui est propre, d’où le glissement progressif du syndicalisme au corporatisme. Car ce dernier ne se renouvelle pas dans sa forme primitive (celle des guildes), mais se manifeste comme une mutation du syndicalisme traditionnel, qui devient un syndicalisme de cogestion, puis un corporatisme. Cependant, le plus grave dans cette mutation est qu’elle ne permet pas de transposer toute l’ampleur du syndicalisme de lutte. Le corporatisme est une création de la société libérale dans le but de sa sauvegarde. Effectivement, que devient un mouvement de salariés si on le vide de son contenu ? Pour être plus clair, que devient la contestation des masses salariales quand elles n’ont pas conscience de la lutte des classes ? Ainsi les mouvements ouvriers de la fin du XIXème et du début du XXème siècle n’ont-ils pas fait plus tremblé les dirigeants que les traditionnelles grèves des chauffeurs de poids lourds ? La dimension des mouvements sociaux a donc changé en fonction non seulement de l’économie, mais aussi de la culture qu’a engendré cette économie. A l’heure où l’actionnaire est en haut de l’échelle sociale et où le prolétariat de Marx doit être redéfini comme salariat, les repères sociaux deviennent flous. Le principe du libéralisme est justement de satisfaire les besoins des masses par le biais de la consommation, et nous entrons dans un système où il réside une possibilité d’ascension sociale, qui n’était pas possible au temps de Marx. Il a fallu attendre l’émergence du concept républicain et surtout son application à la majorité des pays dits "développés" pour commencer à fondre entre elles les différentes classes. Seulement, même si le prolétariat est devenu consommateur, il n’en demeure pas moins exploité, et les outils de production ne lui appartiennent toujours pas. L’économie libérale, sauvegardée à grands coups de matraques, ne sera jamais ébranlée par le mode de contestation corporatiste, et , dans la mesure où la propagande capitaliste est déjà totalement admise, l’espoir de voir renaître un renouveau syndical virulent est de plus en plus minime.

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Cependant, il existe une faille dans le néo-corporatisme, et ce dans la mesure où il est la pure création du système économique libéral. Cette faille est d’ailleurs la même que pour ce dernier : les aspirations croissantes auxquelles prétendent les corporations devront se heurter à un problème majeur. Il est certain que le productivisme ne pourra pas satisfaire les besoins de chaque corps et d’ici quelques temps, les modes de vie ne pourront plus être améliorés, car, même si le libéralisme s’auto-régénère, il n’a cependant pas prévu les périodes de transcendance sociale. Le changement social s’opère dans ce sens : la classe salariale actuelle a englobé toutes les classes définies par Marx, ce qui veut dire que nous allons vers une seule classe moyenne. Or, le capitalisme libéral ne fonctionne qu’en s’appuyant sur les pauvres. Si la classe prolétarienne disparaît totalement, il s’effondre. Le modèle de fonctionnement du néo-corporatisme est le même : il se retrouvera bientôt à défendre en son sein deux classes sociales réunies, et, l’une pouvant être exploitée par l’autre, il devra se combattre lui-même, ainsi il subira le sort d’une structure qui voudrait oublier le problème de la lutte des classes alors qu’il demeure encore bien réel.



TéhèR



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